Rapport de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme sur l'Algerie

Publié le par chehla

Rapport de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme sur l'Algerie

A l'occasion de l'examen du rapport de l'Algérie (CERD/C/362/Add.6, du 4 octobre 2001), devant le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) souhaite examiner la question de la conformité de la législation algérienne et de sa mise en oeuvre, avec la Convention internationale pour l'élimination de toutes formes de discrimination raciale (CIERD), en particulier pour ce qui a trait à la situation de la population amazighe.
Résumé :
Depuis l'indépendance de l'Algérie, la langue et la culture amazighes sont menacées par la politique de monolinguisme et de refus, sous les gouvernements successifs, de prendre en considération le pluralisme culturel et linguistique du pays. Cette politique a été un instrument de privation et de musellement de la population. Elle trouve ses racines dans la définition contemporaine de la nation algérienne, telle qu'elle figure dans les différentes constitutions du pays depuis l'indépendance. Son expression se retrouve dans plusieurs lois, dont la Loi sur la généralisation de la langue arabe, qui est entrée en vigueur le 5 juillet 1998. Cette politique dénie toute différence ou spécificité culturelle, autre que l'arabe et l'islam, portant atteinte aux droits et libertés fondamentales reconnus par les article 1, 5-c, 5-d et 5-e de la Convention internationale pour l'élimination de toute forme de discrimination raciale.
Introduction :
La question amazighe en Algérie, faits, chiffres et contexte politique

Les Amazighs (berbères) seraient présente dans le Maghreb depuis plus de cinq mille ans. Ils ont développé depuis une culture, une langue de tradition orale, le Tamazigh. La population représente environ 30 millions de personnes, répartis sur neuf pays du grand Maghreb-Sahara-Sahel : l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Niger, le Mali, le Burkina-Faso, la Mauritanie, la Libye et l'Egypte. L'Algérie est, derrière le Maroc, le pays qui compte la population Amazighophone la plus importante, avec environ 25% de sa population, qui utilise le Tamazight quotidiennement. Ce chiffre représente au moins 7 à 8 millions d'Algériens.

A l'intérieur du territoire algérien, les Amazighs sont répartis dans différentes zones. La Kabylie est, démographiquement parlant, la région Amazighophone la plus importante. Mais la population amazighe est également présente, sous ses diverses composantes, aux alentours de Tougourt, Ouargla, Ghardhaia, Aïn Sefra, Bechar, Adrar, Chenouar, Aurès et dans tout le Sud de l'Algérie pour sa composante touarègue.

Ces informations revêtent une importance notoire lorsque l'on prend en considération le débat sur la reconnaissance de la culture et de la langue amazighe, en permettant d'appréhender la réelle étendue des privations dont souffrent les Amazighs.

Depuis l'indépendance de l'Algérie, la langue et la culture amazighes sont menacées par le politique de monolinguisme et de refus, sous les gouvernements successifs, de prendre en considération le pluralisme culturel et linguistique du pays. Chacune des constitutions du pays, depuis la première jusqu'au texte de 1996, ont défini la nation algérienne en fonction de ses composantes Arabe et islamique, ignorant l'amazighité et empêchant son expression publique (cf.: I.1):

En ligne droite avec l'esprit de la Constitution, la loi portant Généralisation de la langue arabe.

Porte sérieusement atteinte aux droits et libertés fondamentales reconnus par la Convention internationale pour l'élimination de toutes formes de discrimination raciale (cf. I.2.).

En réponse à une pression politique grandissante de la population amazighe, le gouvernement algérien a mis en place une institution officielle, le Haut Commissariat à l'Amazighité, en charge de la "réhabilitation et de la promotion de l'amazighité". Cette institution officielle, la première en son genre, doit être bienvenue.

Toutefois, son mandat est construit sur l'absence de référence à un quelconque statut pour la langue amazighe ; ses activités ont été, depuis cinq ans, très réduites, aussi bien sur le plan de la réhabilitation que de la promotion de l'amazighité. Cette institution apparaît en conséquence comme une simple façade, un leurre visant à apaiser les revendications amazighes avec des fausses promesses (cf. II.1.).1 Loi n°91-05 du 16 janvier 1991, portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe, modifiée par l'Ordonnance n°96-30 du 21 décembre 1996, entrée en vigueur le 5 juillet 1998.

L'éducation aura été un des domaines pour lequel la question amazighe aura été traitée avec le plus de sérieux, avec, notamment, la mise en place de cours d'amazigh dans des zones test. Toutefois, après cinq ans d'application, cette expérience se révèle très décevante, car trop peu d'efforts sont consentis pour promouvoir la généralisation et une prise en compte sérieuse de l'éducation de l'amazigh (cf. II.2.).

I. Les Composantes de la nation algérienne : l'arabité et l'islamité, sans référence à l'amazighité :

I.1 La Constitution de la République Algérienne :
La nouvelle Constitution de la République Algérienne, adoptée par référendum le 28 novembre 1996, a introduit, pour la première fois, la notion d'amazighité dans un texte officiel. Le Préambule de la Constitution prévoit en effet que :

"Les composantes fondamentales de l'identité (de l'Algérie) sont l'islam, l'arabité et l'amazighité"

Mais cette évolution, certes fondamentale, semble être éclipsée par l'article 3, qui stipule que : l'Arabe est la langue nationale et officielle ".

La promotion politique de l'idée amazighe est également clairement empêchée, puisque les partis politiques fondés sur l'amazighité ou défendant la cause amazighe sont déclarés illégaux. Il ressort en effet de l'article 42 que :

"... les partis ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale." (42.3)"... les partis politiques ne peuvent recourir à la propagande partisane portant sur ces éléments mentionnés à l'alinéa précédent." (42.4)

Toute forme d'expression politique des revendications amazighes en vue de la reconnaissance de leur langue et de leur culture est un argument politique linguistique, interdit par l'article mentionné ci-dessus. En conséquence, la population amazighe est privée de son droit à l'expression politique et l'État algérien viole les articles 1 et 5c de la Convention Internationale pour l'élimination de toutes formes de discrimination raciale.

La Constitution de la République algérienne va même plus loin dans l'exclusion de l'amazighité avec l'article 178, qui établit un certain nombre de valeurs constitutionnelles intangibles, un " acquis constitutionnel " qu'aucune révision de la Constitution ne pourra remettre en question. Ainsi :

" Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte :

1.- au caractère républicain de l'état

2.- à l'ordre démocratique basé sur le multipartisme

3.- à l'Islam en tant que religion de l'État

4.- à l'arabe en tant que langue nationale et officielle

5.- aux libertés fondamentales, aux droits de l'homme et du citoyen

6.- à l'intégrité et à l'unité du territoire national."

Non seulement la composante amazighe est-elle exclue de ces éléments fondamentaux, mais ces derniers sont posés de telle manière qu'ils empêchent la langue et la culture amazighe d'être jamais reconnus. L'existence de cet article, comme de ceux mentionnés plus haut, atteste de la réelle dimension de l'amazighité, accordant par conséquence à sa mention dans le Préambule un caractère purement rhétorique.

Les Amazighs, en vertu de la Constitution de la République d'Algérie, sont clairement privés de la jouissance de leurs droits et libertés. Le texte constitutionnel est en conséquence en rupture avec la CIERD.

I.2. La loi sur l'arabisation
La loi portant généralisation de la langue arabe est entrée en vigueur le 5 juillet 1998. Dans la lignée de l'esprit de la Constitution, elle déclare illégal et soumet à des sanctions pécuniaires les auteurs de tout acte, contrat ou texte officiel écrit dans une langue autre que l'arabe. Tous les actes émanant des administrations, des institutions, ces entreprises privées et même des associations, doivent être rédigés en langue arabe.

Aucune coexistence des langues arabe et Tamazight n'est prévue. La langue Tamazight est délibérément soumise au régime spécifique régissant les " langues étrangères ", se qui est particulièrement surprenant pour une langue ont la présence sur le territoire algérien est antérieure à l'apparition de la langue arabe. L'application stricte de cette loi empêche 25% de la population algérienne d'utiliser sa langue maternelle.

Le but avoué de cette loi était d'empêcher, tout comme pour le français, toue utilisation de la langue Tamazight.

Toutefois, comme beaucoup le reconnaissent, cette loi n'est pas appliquée strictement dans la pratique. Le président algérien Bouteflika aurait lui-même, à certaines occasions, tenu des discours dans une langue autre que l'arabe. Cependant, cette loi connaît alors une application plus aléatoire, créant par là-même un autre niveau de discrimination. La FIDH condamne cette loi qui crée une véritable discrimination des droits et libertés protégés par les articles 1, 5.c et 5.d de la CIERD.

II. La reconnaissance politique de l'amazighité :

II.1. Le Haut Commissariat à l'Amazighité (HCA)
Après un boycott scolaire très largement suivi en Kabylie à partir de septembre 1994 (" la grève des cartables "), le gouvernement a engagé des négociations entre mars et avril 1995, avec certaines sections du mouvement culturel amazigh.

Le résultat de ces négociations a conduit le gouvernement à refuser de reconnaître, aux côtés de l'arabe, le Tamazight comme " langue nationale", en argumentant du fait que cela nécessiterait un changement constitutionnel. Cependant, les autorités acceptèrent d'institutionnaliser la langue et son enseignement. Ils décidèrent également de créer par décret le " Haut Commissariat à l'amazighité " (HCA), avec pour missions :

" - la réhabilitation et la promotion de l'amazighité en tant que l'un des fondements

de l'identité nationale.

- l'introduction de la langue amazighe dans es systèmes de l'enseignement et de la communication. "

A. Une victoire relative

Cette institution est le premier exemple de prise en considération du paramètre amazigh dans une institution officielle d'un État nord-africain. Sa création représente un virement par rapport aux anciennes politiques officielles et une victoire pour la population amazighe.

Toutefois, le HCA est une institution administrative explicitement politique, créée par décret. Elle reste donc fragile et révocable. Ce n'est donc toujours pas une reconnaissance légale de l'amazighité, sur un plan législatif ou constitutionnel.

Le document fondateur du HCA est très explicite sur un point crucial : la reconnaissance de la langue et de la culture amazighes est perçue comme la réhabilitation " d'un des fondements de l'identité nationale ". Sa création n'est en aucun cas la reconnaissance explicite de leurs droits culturels et linguistiques. Les autorités ont sciemment refusé de reconnaître le Tamazight comme une des langues nationales, ou de lui conférer un quelconque statut. Son enseignement n'est pas généralisé.



B. Une Composition insatisfaisante

La composition du HCA mérite d'être prise en considération. Bien que les statuts du HCA prévoient la représentation de la population amazighe dans un comité scientifique, la direction du HCA ne comprend aucune autorité spécialiste de la langue ou de la culture amazighe, et peu de militants reconnus. Au lieu de cela, la majorité de ses membres sont des représentants de différents ministères.



C. Un résultat limité après 5 ans d'existence

Après 5 ans d'existence, l'activité du HCA a été très limitée pour la réhabilitation comme pour la promotion de la culture et la langue amazigh

Le Comité qui est chargé de coordonner et mettre en oeuvre les politiques n'a jamais fonctionné proprement. Le décret impose que toutes les politiques décidées par les groupes de travail soient mises en œuvre sous la supervision du Comité Intersectoriel de Coordination (CIC), composé de représentants des différents ministères. Différents projets ont été proposés dans le domaine de l'éducation, de la formation professionnelle et de la communication. Tous les projets étaient à la fois ambitieux et réalistes. Néanmoins, ils n'ont jamais reçu le soutien nécessaire de la part du CIC, qui ne s'est réuni qu'une seule fois, après sa création.

Le budget alloué au HCA est très limité. Le décret prévoit certes l'autonomie financière du HCA, mais le budget alloué, qui ne permet que le fonctionnement interne, n'a jamais été augmenté depuis 1996. 2 Décret présidentiel n°95/147, du 27 mai 1995 3

Article 4 du décret.

L'activité concrète du HCA consiste en l'organisation et la traduction de séminaires. Ceci a permis de rassembler des scientifiques et d'adopter des résolutions dans le domaine de l'éducation et de la communication.

Ces résolutions n'ont néanmoins pas été suivies par des politiques efficaces.

L'existence du HCA semble donc être un leurre pour les aspirations du peuple Amazigh. Rien ne montre que les autorités algériennes ont pris au sérieux ses attentes.

II.2. Un exemple de politique échouée : l'éducation amazighe
Au début de l'année académique 1995, sous l'égide du HCA et du Ministère de l'Éducation, plusieurs initiatives en faveur de l'enseignement aux écoles secondaires ont été entreprises. Des cours de formation pour enseignants ont été organisés et des cours d'Amazigh ont commencé dans plusieurs écoles. Cette initiative a été saluée initialement, mais s'est révélée être un échec. Elle a en effet été appliquée dans des classes à l'essai sur une base facultative. L'assiduité est devenue très faible, autant du point vue des élèves que des professeurs. Plusieurs observations peuvent être faites sur la façon que cette politique a été organisée et sur les raisons pour lesquelles elle a échoué :

- L'enseignement de la langue amazighe était purement facultatif. Les notes d'un élève n'apparaissaient initialement pas sur le bulletin scolaire.

- Les moyens utilisés sont resté très limités. Les initiatives des associations amazighes concernant l'enseignement, la formation des formateurs, l'élaboration d'un manuel, ont été plus efficaces que celles du HCA.

- Aucun poste de professeur d'amazigh n'a été créé. Les enseignants qui donnaient des cours d'amazigh étaient des enseignants d'autres disciplines, qui avaient été formés de façon très sommaire.

Le Ministère de l'Éducation a adopté un plan d'action sur l'éducation de l'amazigh en 1996, qui a pour la première fois pris au sérieux l'éducation amazighe, en proposant une série des mesures cohérentes et ambitieuses à court, moyen et long terme. Jusqu'à présent, aucun élément nous permet de dire que ce plan a été mis en oeuvre. L'enseignement amazigh reste marginal.



Suggestions de questions que le Comité pourrait poser aux autorités algériennes :

Considérant la composition du HCA :

- Quelles politiques efficaces sont prévues afin de prendre sérieusement en considération les aspirations de la population amazighe ?

- Quelles mesures sont prévues afin d'accorder un statut à la langue Tamazight et à la culture amazigh ?

- Comment des non-spécialistes de la culture amazigh sont-ils capables de promouvoir la réhabilitation de l'amazighité ?

Considérant ce que pourrait être une politique d'éducation de l'amazigh efficace :

- Comment les autorités algériennes entendent-elles généraliser l'éducation de l'amazigh dans les régions Amazighophones ?

- Quand les cours d'amazigh seront-ils dispensés sur une base régulière, intégrés au programme scolaire des études pour le baccalauréat ?

- Quelles mesures le gouvernement algérien entend-il prendre pour créer de réels postes d'enseignants d'amazigh, pour organiser la formation des enseignants, pour élaborer un programme scolaire et des manuels d'amazigh, en lien avec les spécialistes de la langue et de la culture amazigh, ainsi que de la science éducative ?

Recommandations de la FIDH

A la lumière de la situation des Amazighs, la FIDH recommande instamment au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale de :

- Prier instamment le gouvernement algérien de reconnaître l'importance de la culture amazighe au niveau constitutionnel ;

- Prier instamment le gouvernement algérien de reconnaître le Tamazight comme une

des langues nationales et officielles ;

- Prier instamment le gouvernement algérien d'instaurer le pluralisme, en autorisant par là même l'usage du Tamazight dans la vie publique ;

- Prier instamment le gouvernement algérien d'instaurer un enseignement généralisé du Tamazight et de la culture amazigh; comme cela devrait être fait pour chaque langue d'importance nationale.

Document élaboré et présenté par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme

Publié dans Dossiers

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