Un peuple qui n’utilise pas sa langue est condamné...

Publié le par amazigh

Akli Kebaili, écrivain et docteur en sciences politiques, à Liberté
“Un peuple qui n’utilise pas sa langue est condamné à rester dominé par d’autres peuples”

M. Akli Kebaïli, connu sous le nom d’Akli Azwawi, est écrivain et politologue. Il nous parle de sa passion pour l’écriture et de ses combats.

Liberté : Comment est née cette passion d’écrire en berbère ?

Akli Kebaïli : Depuis que j’ai quitté ma famille pour rentrer à l’internat à l’âge de 13 ans, j’ai éprouvé la nécessité de communiquer avec ma mère en kabyle. Donc, j’ai commencé à écrire mes lettres en kabyle. Et pour manifester publiquement ce besoin, j’écrivais les adresses aussi en kabyle. La réaction des agents de la poste et des villageois a été, à l’époque, souvent “moqueuse”. L’adresse en kabyle ? La lettre en kabyle ? Peut-on écrire cette langue ? Et, depuis mon arrivée en Allemagne en 1979, j’essaie d’expliquer aux Allemands notre revendication légitime pour la reconnaissance de nos langue et culture et les premières questions des Allemands et d’autres étrangers sont souvent : Avez-vous une écriture ?

Quelle est la différence entre la langue arabe et la langue kabyle (berbère) ? Ces gens, que nous essayons de gagner pour notre cause, ne peuvent nous comprendre s’ils constatent que notre langue de communication et de travail n’est pas notre langue maternelle. Mon intention est, bien sûr, aussi de contribuer au développement de la littérature kabyle et de communiquer avec la population malgré mon absence physique en Kabylie.

Avez-vous des difficultés à écrire en kabyle ?

Nous avons toute une série de problèmes pour y parvenir. Je compare quelqu’un qui écrit en kabyle ou en tamazight comme quelqu’un qui se balade dans un pays étranger sans connaître l’issue de son chemin. On se pose toujours la question de savoir si les écrits seront lus ou pas par quelqu’un ! Les auteurs d’expression kabyle, non seulement sont bloqués par le manque de moyens, mais le contenu de leurs écrits est moins considéré que les œuvres écrites en d’autres langues.

Il est, souvent, difficile d’évaluer le contenu des ouvrages par manque d’intérêt et d’experts dans ce domaine. Je ne connais aucune institution, société ou personne qui subventionne la publication de la littérature kabyle.

Cette littérature ne trouve pas d’acheteurs. Par conséquent, les auteurs d’expression kabyle ou tamazight sont découragés. La majorité de nos Kabyles n’achète pas de livres en kabyle et ne s’intéresse pas à cette langue. Gagner de l’argent est, bien sûr, nécessaire et légitime. Mais gagner de l’argent et perdre son identité et sa langue maternelle sont loin d’être positifs. Cela va être, à long terme, de plus en plus évident. Il sera alors trop tard pour regretter. Les auteurs qui publient dans leur langue maternelle se ruinent puisqu’ils sont obligés de payer les frais de leurs publications.

Beaucoup d’intellectuels kabyles préfèrent s’exprimer dans d’autres langues, notamment en français, pourquoi ?

Notre problème est que ces intellectuels qui sont en mesure d’utiliser la langue qu’ils revendiquent ne le font pas. Je me demande aussi pourquoi nos intellectuels ne donnent pas à leur langue maternelle la place qu’elle mérite ! Certains d’entre eux ont même produit des textes en Kabyle, mais on les voit maintenant faire marche arrière. À mon avis, il y a beaucoup de raisons à cette situation, entre autres, les problèmes que je viens de citer, c’est-à-dire le manque d’intérêt de nos concitoyens à la littérature kabyle ainsi que le manque de soutien de l’état à cette littérature. Il y a aussi une sorte de complexe. Beaucoup de nos intellectuels préfèrent s’exprimer dans des langues étrangères, cela leur donne à leurs yeux plus d’importance et de valeur. Le but de l’utilisation de ces langues étrangères est souvent celui de se distinguer des citoyens simples, c’est-à-dire de la masse.

Et il y a, bien sûr, l’influence de ces langues étrangères sur la population pour une longue durée. Ce qui leur facilite de s’exprimer dans ces langues plutôt que dans leur langue maternelle c’est un manque d’éducation scolaire et d’utilisation de notre langue dans les établissements publics. Beaucoup de nos intellectuels utilisent leur langue maternelle plutôt dans leur vie quotidienne. À mon avis, on a vraiment tort de traiter sa langue maternelle d’une façon pareille, car elle est capable comme toutes les autres langues d’être la langue de travail dans tous les domaines de la vie, y compris les domaines scientifiques.

Auteur de deux romans, quel bilan en faites-vous ?

L’écho est assez timide. Il y a aussi le problème de la divulgation. Mes petits livres en kabyle sont publiés en France chez l’Harmattan et malheureusement pas en Kabylie ou en Algérie.

Imetti n Bab Idurar (Les aventures de Bab Idurar) a été intégralement rédigé en kabyle contrairement à votre deuxième roman l’kuraj n Tyazit (La brave poule) écrit en langue française et kabyle, Pourquoi ce changement ?

Premièrement, parce que nous n’avons pas de maison d’édition spécialisée dans la littérature kabyle. Et publier en France, seulement en langue kabyle, coûte très cher car les maisons d’édition préfèrent les langues qu’elles maîtrisent et qui se commercialisent.

Deuxièmement, la production bilingue est aussi destinée aux enfants des émigrés qui ne maîtrisent pas la lecture en kabyle et même aux résidants de Kabylie qui hésitent à lire dans leur langue. La deuxième langue peut aider à mieux comprendre le texte en kabyle. Mais la publication bilingue a aussi ses problèmes. Moi, personnellement, je préfère écrire uniquement en kabyle littérairement parlant. je me sens très bien dans cette langue et j’ai toujours l’espoir de traduire un jour ces textes dans d’autres langues.

Avez-vous un père spirituel ?

Non !

Avez-vous des projets pour l’avenir ?

J’ai beaucoup de projets mais le problème est toujours lié à la réalisation. J’ai déjà deux livres qui sont prêts à la publication. Et, faut-il le dire, sans l’aide de mon ami Kamal Naït-Zerrad, je ne serais pas en mesure de publier mes textes en kabyle.

Kamal, qui est professeur à l’Inalco de Paris, dirige une collection chez l’Harmattan qui s’appelle Tira (langue, littérature et civilisation berbères). C’est lui qui fait les démarches auprès de l’Harmattan afin de pouvoir publier mes textes. Sans lui, je suis complètement impuissant quant à l’activité de publication en kabyle. En Kabylie ou en Algérie, je n’ai pas trouvé des maisons d’édition qui pourraient s’intéresser à mes textes. Même les auteurs résidents en Kabylie comme Salem Zenia et les autres produisent en France. D’ailleurs, je salue à cette occasion tous les auteurs d’expression kabyle pour leur courage d’écrire dans cette langue.

Quel est votre point de vue sur le projet de la charte pour la paix et la réconciliation nationale ?

Bien que je ne sois pas très bien placé pour répondre à cette question, puisque je vis à l’étranger et donc je ne vis pas la réalité quotidienne en Algérie, j’ai quand même un point de vue là-dessus puisque je suis moi-même concerné par la situation sécuritaire en Kabylie, en particulier, et en Algérie, en général. Le pays a besoin de sécurité et de paix ; c’est ce que tout le monde souhaite. je suppose. Mais la résiliation des actes de violence contre les populations ne peut être mise en œuvre exclusivement à travers un référendum. L’assurance de la sécurité des citoyens est toujours l’affaire des gouvernements. Ce qui est le cas dans le monde entier. Ce n’est pas parce que la population confirmera le projet de réconciliation que les groupes armés déposeront leurs armes. Si le but de ce référendum est d’assurer la paix, je ne vois pas pourquoi s’y opposer. La question reste de savoir à quel prix et quel est l’enjeu politique d’un tel projet ?

Je préfère ne pas donner de réponses superficielles. Mais il ne faut pas oublier, dans toutes ces discussions, les victimes du terrorisme, celles du Printemps noir et les disparus. Il faut aider toutes ces victimes ou leurs ayants droit à assumer psychologiquement leurs douleurs dues à la perte de leurs proches sans oublier de leur octroyer une aide matérielle.

Comment pouvez-vous décrire l’avenir de l’amazighité et de la Kabylie à travers ce projet de réconciliation ?

La paix et la sécurité sont, bien sûr, indispensables pour le développement économique et culturel d’un pays. Et quand on a faim on ne peut pas s’intéresser à la culture. Mais, je ne vois pas la relation directe entre ce projet de réconciliation et la revendication amazighe.

Le conseil scientifique de l’université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou vient d’attribuer le titre de doctorat honoris causa à l’ex-président Ahmed Ben Bella, que pensez-vous de ce geste généreux ?

Cette nouvelle ne m’a pas choqué personnellement, à l’opposé de beaucoup de mes amis, puisque l’université de Tizi Ouzou n’est pas vraiment autonome. Je ne connais pas non plus les raisons qui ont motivé les responsables de cette université à attribuer ce prix à M. Ben Bella. Une chose est certaine, Ben Bella a fait beaucoup de mal à notre région et à notre culture kabyle. A-t-il corrigé ces graves fautes historiques vis-à-vis de notre culture ? Quelle a été sa contribution au développement scientifique ou culturel de notre société ? Mais il est aussi important de se demander quelle place a la culture kabyle à l’université de Tizi Ouzou ?

Quelle conclusion faites-vous de cet ensemble de combats ?

Depuis le Printemps amazigh en 1980, notre travail pour la reconnaissance de notre culture kabyle a donné quelques fruits. Les gouvernements algériens depuis 1962 ont décidé de faire disparaître notre culture et notre langue par tous les moyens.C’est grâce à beaucoup d’hommes et de femmes engagés et qui ont risqué leur vie que nous sommes arrivés aujourd’hui à cette situation. Mais cette “tolérance” de la part du régime algérien envers la culture kabyle et amazighe en général pourrait être très dangereuse pour le développement de notre culture et en particulier de notre langue. Je proposerai de faire du 20 avril et du Printemps noir des journées et des semaines d’apprentissage de la langue kabyle.

Un programme spécial doit être réalisé pour nos enfants. On pourrait organiser des cours de langue dans tous les sièges des associations et pourquoi pas dans les écoles, une façon symbolique pour manifester l’importance de cet événement publiquement. Après ce programme, on pourrait passer aux autres activités comme les manifestations et les festivités culturelles, ... Il faut absolument passer du stade de la langue orale à celui de la langue écrite, sinon nous n’aurons aucune chance de la protéger dans une époque de communication électronique et de globalisation mondiale.

Propos recueillis par ALI AÏT MOUHOUB

Source : Liberté 08 10 2005

Publié dans culure berbère

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BIO EXPRESS<br /> Akli Kebaïli, connu aussi sous le nom d’Akli Azwawi, est né en 1953 à Tiwal (Ath Maouche) dans la wilaya de Béjaïa et vit en Allemagne depuis 1979. ةcrivain et politologue, il a contribué à l’épanouissement de la culture berbère par ses écrits avec l’ex-journal Izuran et d’autres dans lesquels il remplissait souvent ses pages en kabyle. Il est auteur également de deux romans, Imetti n bab idurar (Les aventures de Bab Idurar) (1999) et l’kuraj n Tyazit (La brave poule) en décembre 2002. Son penchant pour l’écriture, notamment en allemand et en kabyle, le distingue beaucoup. Il travaille actuellement à la mairie de Francfort/Main (services aux affaires multiculturelles) dans le domaine de l’intégration des émigrés. Son engagement contre la discrimination est quotidien. Il participe, en outre, et en coopération avec la police de Francfort, à la réalisation d’un film vidéo en tamazight.
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